Concevoir une partie visuelle

pour Saint François d'Assise

d'Olivier Messiaen

Dans le contexte particulier de la conception d'une partie visuelle pour une œuvre musicale, il s'agit toujours pour moi d’abord de prolonger l'écriture musicale dans l'image. Cela veut dire concrètement partir de la partition et écrire l'image comme si celle-ci faisait partie de l'orchestration, prolonger les gestes instrumentaux, éclairer les situations harmoniques. La forme et la dramaturgie visuelles doivent donc découler de la forme musicale, aider sa perception, sans jamais contrarier son déploiement.


Dans le cas particulier d'un opéra en situation de concert, vient s'ajouter la nécessité de clarifier une action qui n'est pas représentée scéniquement et qui risque par conséquent de ne pas être compréhensible par le public, qui ne connaît pas nécessairement le livret par cœur. 


Il s'agit aussi d'aider, parfois, l'identification des personnages. Par exemple, dans L'Enfant et les sortilèges de Ravel, les chanteurs ont plusieurs rôles et il est par conséquent très difficile en situation de concert de savoir quel est le personnage qui chante à un moment donné. J'ai pour cela conçu le principe de "masques virtuels": le visage du chanteur est doublé d'un masque transparent qui permet clairement d'identifier le personnage qu'il joue, procédé qui s'avère en fait plastiquement impressionnant. 


Similairement, les chanteurs captés en direct par les caméras sont insérés dans des "décors virtuels" qui, à la différence de la situation traditionnelle au théâtre ou à l'opéra, peuvent varier continuement, se transformer à la fois pour aider à la compréhension de l'action, mais aussi en fonction de l'écriture musicale même. Par exemple, dans le Wozzeck pour Esa-Pekka Salonen et le Philarmonia Orchestra de Londres en 2009 au Royal Albert Hall, les décors virtuels représentaient les reflets des hallucinations que subit le personnage, et pour ce faire j'utilise des références à l'univers pictural de Franz Marc, contemporain de l'écriture de l'opéra.


Dans Saint François d’Assise, il s'agit donc de restituer dans la partie visuelle toute la richesse de la musique de Messiaen ; de récréer à l'image les tableaux vivants qu'il a imaginés et réalisés dans le livret et la musique ; de faire correspondre à l'extraordinaire palette de timbres, une palette de couleurs inspirée de la riche iconographie qui l'a lui-même inspiré, ainsi que de des théories du compositeur sur la couleur.


L'action de ces "scènes franciscaines" est relativement simple et ne pose pas de problème majeur de restitution. Donc la partie visuelle peut principalement se concentrer sur la compréhension des situations du livret, et surtout sur le développement musical.


Il s'agit aussi de donner à voir de près, grâce aux caméras, les visages des chanteurs, qui transportent tant d'affects et d'expressions trop souvent perdus dans une représentation traditionnelle d'opéra. C'est notamment ainsi que la partie visuelle s'intègre complètement dans le concert, créant un dialogue constant entre les chanteurs sur le devant de la scène et leurs reflets sur l'écran au dessus de l'orchestre, et ne constitue pas seulement un film qui tournerait en parallèle, indifférent à ce qui se joue sur scène.


Pour les décors virtuels, nous utiliserons comme sources principales, d'une part les paysages réels de Toscane et d'Ombrie où se situent l'action, et surtout les tableaux de Giotto, principalement ceux qui se trouvent dans  la Basilique à Assise, et qui ont été une source d’inspiration majeure pour Messiaen.


Ces matériaux ne sont jamais utilisés directement, mais sont traités préalablement ou servent d’inspiration pour composer les décors virtuels dans lesquels sont transportés en direct les chanteurs.

Les décors virtuels évoluent en suivant le chemin intérieur parcouru par François.


De manière générale, l’écriture musicale, l’invention rythmique et timbrale, offrent des parallèles visuels passionnants. D’autant plus que l’on sait combien Messiaen était passionné de couleurs, qu’il en voyait en composant et écoutant la musique. « Mes accords sont des couleurs. Ils engendrent des couleurs intellectuelles, qui évoluent avec eux » (in Olivier Messiaen : Musique et couleur, entretiens avec Claude Samuel, Belfond 1986)


Une application directe, transposition du musical au visuel, de l’univers coloré de Messiaen, n’a jamais cependant été tentée jusqu’à présent. Il n’est pas sûr en effet qu’elle ait un sens, tant les descriptions qu’a fait le compositeur de ses visions colorées, semblent vraiment personnelles et difficilement reproductibles et transmissibles.


Cependant, l’idée d’une création visuelle respectueuse des idées du compositeur, partant de la partition pour prolonger l’écriture dans l’image, semble particulièrement opportune.


Les milliers d'accords de la partition de Messiaen, seront ainsi prolongés dans l'image pour tenter de restituer au plus près l'’”éblouissement" voulu par le compositeur.


Jean-Baptiste Barrière