Musique & image

chez Kaija Saariaho

La musique de Kaija Saariaho est souvent considérée comme visuelle, car elle procède d’une poïétique musicale suscitant des images particulièrement fortes à l’écoute chez l’auditeur.

Les musicologues se sont intéressés au fait qu’elle a d’abord mené parallèlement des études à l’Académie Sibélius et aux Beaux-arts, qu’elle a toujours beaucoup dessiné, et que la dimension graphique a une grande importance dans son écriture, notamment dans ses esquisses compositionnelles.

Et surtout, elle a aussi régulièrement collaboré avec des artistes. Elle entretient notamment une collaboration avec l’artiste Raija Malka, qui s’est traduite par plusieurs expositions pour lesquelles elle a composé des environnements musicaux.  Elles ont aussi réalisé ensemble le spectacle From the Grammar of Dreams dont l’artiste avait assurée la scénographie, ou encore le cd-rom Prisma, consacré à la musique de Saariaho, que j’ai conçu et qui accorde une grande part à l’aspect visuel dirigé par Malka.

Carolyn Carlson avec le ballet Maa, et Peter Sellars, avec l’opéra L’Amour de Loin, sur un livret d’Amin Maalouf,  ont su mettre en scène ces images musicales. Sellars, après la mise en scène de son second opéra, Adriana Mater, crée à Bastille en mars 2006, a aussi travaillé sur l’oratorio La Passion de Simone, inspirée de l’œuvre et de la vie de Simone Weil, crée à l’automne 2006. Et le cinéaste et metteur en scène François Girard a récemment mis en scène Émilie, son dernier opéra, crée à l’Opéra de Lyon puis à l’Opéra d’Amsterdam en mars dernier. Tous insistent d’une manière ou d’une autre sur la puissance visuelle de cette musique.


L’idée de concevoir des « concerts visuels », associant une démarche de création plastique à la musique de Kaija Saariaho, se révèle donc assez naturelle, et de nombreux projets se développent d’ailleurs en ce sens aujourd’hui partout dans le monde sans même l’implication du compositeur.

Les concerts visuels que nous concevons sur la musique de Saariaho, comme par exemple le spectacle Voix/Espace avec Rachid Safir et les Jeunes Solistes, procède à l’inverse d’une étroite et longue collaboration, basée sur une connaissance profonde de l’univers musical du compositeur.

Avec Pierre-Jean Bouyer, Isabelle Barrière et François Galard, qui réalisent les images, nous développons à travers le projet Image Auditive, une esthétique de la relation musique/image qui se veut particulièrement respectueuse de la musique.

Avant tout, l’image ne doit pas empêcher d’écouter la musique, comme c’est malheureusement le cas dans beaucoup d’expériences similaires.

Elle ne saurait non plus être plaquée sur la musique, ou au contraire illustrative de la musique.

Pas plus ne doit-elle procéder du commentaire sur ou autour de la musique.

Elle doit donc se réaliser à travers son écriture propre, articulée formellement avec l’écriture musicale, procédant des mêmes idées ou techniques de composition, mais développées dans une autre dimension sensible, sans pléonasme, ni antagonisme arbitraires, en interaction dynamique et évolutive.


J’ai supervisé et/ou réalisé une grande partie de l’électronique des œuvres de Kaija Saariaho, et je conçois donc précisément la partie visuelle dans la continuité de son travail de l’électronique.
De la même manière que souvent chez elle, la musique se déploie dans l’espace, avec en particulier l’usage récurrent de la spatialisation autour du public, dans ces concerts/spectacles visuels, la musique se déploie dans l’image.

L’une devient le prolongement de l’autre.

L’écriture de l’image se constitue ainsi comme la continuation de l’écriture instrumentale et électronique par d’autres moyens.


Jean-Baptiste Barrière

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